René- Marie CHENOT

par Marie CHENOT  -  26 Septembre 2019, 06:00  -  #Littérature

René- Marie CHENOT

                                            René,

Dans sa promenade  ce matin là, il aperçoit une ombre qui pourrait annoncer la fin prochaine de son chemin .

Un frisson le traverse, ses yeux s’écarquillent, ses oreilles bourdonnent, ses jambes s’alourdissent, seul son cerveau n’a pas dit son dernier mot.

Jamais il n’avait vraiment pensé à ce qu’avait été sa vie, il l’avait vécue c’est tout. Belle ou moche, légère ou grave, dure, facile, triste, joyeuse, réussie, ratée, paisible, mouvementée , qu’en sait il ?

Comme en terminant un bon livre, il revient aux premières pages pour le relire en diagonale.

L’enfance rime souvent avec insouciance, pourtant René en garde une autre mémoire.

La guerre, le silence des adultes qui cachent leur misère, les maisons qui se vident de tous les hommes jeunes et bien portants, les femmes qui s’affairent aux travaux qu’elles ne savent pas encore faire sans oser se plaindre et en s’excusant de ne pas être parties elles aussi à la guerre.

Les repas qui ont perdu leur goût d’antan, la place du père qui reste sans assiette, et les nôtres qui rétrécissent chaque jour. Le bon poulet rôti et le rosbeef du samedi  ont laissé place au ragoût insipide dont la seule vertu est de faire taire les estomacs  bruyants.

René se souvient pourtant de toujours féliciter sa mère avant de quitter la table , même si la soupe avait un goût amère.

Chaque jour à onze heures, tout le monde guettait le facteur, quelques nouvelles du front remettaient du baume au cœur jusqu’au lendemain.

Réné se souvient aussi du ciel d’orage, lourd, sombre, qui menaçait sans jamais apporter une goutte de pluie ou un coup de tonnerre. Tout restait en suspension au dessus de sa tête, il attendait…Combien de jours, combien de mois il ne sait pas…mais pourtant un soir en rentrant de l’école , il a compris que le ciel avait parlé.

Sa mère , l’attendait au milieu du jardin, le serra dans ses bras comme jamais, ses larmes coulaient le long de son cou et après un hoquet, il entendit : « Ton père ne reviendra plus ». Cette fois la foudre était bien tombée , René ne savait même plus respirer.

Comment continuer à vivre sans son père à ses côtés, celui qui avait si bien commencé à lui ouvrir le chemin de la vie.

Comment consoler cette mère dévorée de chagrin , si courageuse  quand elle espérait le retour prochain et si anéantie aujourd’hui , privée de toute envie.

René et sa mère ont partagé bien longtemps une tristesse absolue, confinés dans leur maison, fuyant toute distraction, déclinant toute invitation. Il leur fallait être seuls, que personne ne vienne distraire leur chagrin, ils tenaient à en prendre soin pour mieux conserver cet homme qui leur avait échappé.

Les années ont passé, René a grandi, sa mère a vieilli, jamais ils ne se sont quittés, pas même éloignés jusqu’à ce que la mort décide de les séparer. René approchait la trentaine quand sa mère encore bien jeune a succombé à une bénigne maladie. Il a toujours pensé que le chagrin l’avait ruinée et malgré tout l’amour exclusif qu’il lui avait porté, il était resté impuissant à lui redonner la saveur de la vie.

René arrive au troisième chapitre de sa vie : Plus de père, plus de mère, pas d’enfant, plus d’amis, seul, absolument seul, que peut il faire de ce temps qui lui reste ?

Cette question tourne en boucle des jours et des nuits au point de l’étourdir comme dans un vertige.

A son quotidien , il ne change rien, il reste vivre dans la maison, ou plutôt l’habiter car est il  encore vraiment en vie ?

L’absence de ses deux parents a jeté comme une chape de plomb sur le toit, la lumière ose encore entrer par les baies vitrées , elle lui glace cruellement  le corps .Il voudrait que son deuil s’installe dans une épaisse nuit  et noire, mais non, chaque matin le soleil se lève avec la

même  arrogance.

Il ne sait plus vraiment combien de temps a duré cette traversée des ténèbres ? Des jours, des mois, des années, il ignore, mais s’en souvenir aujourd’hui, le chavire encore.

Puis, c’est  sous le signe de la débauche que s’ouvre le prochain chapitre   :

 Lui, qui avait mené jusqu’à ce jour  une vie affective et sexuelle bien chaste, juste quelques aventures brèves pour rassurer sa mère qui redoutait pour lui un célibat prolongé. Elle espérait secrètement qu’une femme  et des petits enfants viendraient leur redonner goût à la vie, mais René l’a compris trop tard…

La mort de son père avait fait tarir toute sa libido et l’amour de sa mère avait suffit à alimenter son cœur. A quoi bon chercher ailleurs ?

Pourtant René a connu  une grande période d’exaltation, où les femmes se sont succédées à ses côtés sans jamais s’y installer. Il ressent encore l’euphorie et la légèreté du moment, il plaisait aux femmes, se savait bel homme, distingué, prévenant, séduisant. Il a joui intensément de cette vie de Don Juan, propulsé dans une course effrénée sans moyen de la stopper, jusqu’au jour où un déclic lui a ouvert les yeux.

Dans chaque femme qu’il séduisait, il reconnaissait une part de sa mère : Les yeux parfois, la douceur de la voix, une  poitrine opulente, une chevelure en désordre, un sourire généreux, une peau ambrée .. 

Chaque détail suffisait à le faire fuir, sans possible retour et il se  jetait sans attendre dans les bras de la suivante.

René n’est pas fier du chapitre qui suit , mais il reconnait bien avoir traversé  une longue période de beuveries…  des beuveries non festives.

Le bistrot «  Chez Marcel », à quelques pas de sa maison était devenu son QG. Tôt le matin, un café bien arrosé l’attendait, toujours à la même table au fond de la salle, histoire de ne pas être dérangé. Il venait là pour boire, pas pour parler,  pour ne plus penser, pour oublier, pour ne plus pleurer , même s’il n’y trouvait pas la gaieté.

Chaque soir en sortant du travail,  il retrouvait sa table  chez Marcel, avalait autant de verres qu’il pouvait avant de rentrer chez lui  à tâtons .

Histoire de survivre, il avait conservé son travail, dans une petite imprimerie qui l’avait engagé dès ses vingt ans. Il y était bien considéré et apprécié pour sa méticulosité. Chaque jour, des livres s’imprimaient sous ses doigts experts , ce qui lui procurait une jouissance inépuisable, sans doute la seule à cette époque là.

Il faut dire que René a toujours été un grand lecteur, il tenait cet appétit de sa mère, même dans les périodes les plus tourmentées de sa vie, il n’a jamais lâché le livre, comme s’il était un trait d’union avec sa mère.

Au fil du temps, l’alcool avait pris l’ascendant sur la vie de René, de plus en plus dégradé. Il n’osait plus s’attarder devant le miroir, il ne se reconnaissait plus, il était parti ailleurs…

Pourtant, il continuait à fréquenter la bibliothèque de la ville le samedi matin pour faire sa provision  de livres et c’est ainsi que René va relire le dernier chapitre de sa vie.

Il s’imagine  encore aujourd’hui tenir ce livre entre les mains, ce livre emprunté et choisi au hasard un samedi matin.

Le titre, il n’en sait rien, mais il sait que ces trois cents pages imprimées l’ont sorti de son marasme. Quand il évoque cette rencontre, les larmes sont encore là.  Des livres , il en a vu défiler pourtant à l’imprimerie pendant vingt- cinq ans, il en a lu aussi des centaines dans la bibliothèque maternelle, mais jamais il n’avait cru à la puissance salvatrice de la lecture.

Ce livre, il ne veut pas le dévoiler, ni le partager, il veut le garder tout entier comme s’il lui avait été dédié… Une nouvelle vie va commencer.

René retient alors un sourire en pensant à son prénom …Re- Né.

Le 22/09/ 2019.

Marie Chenot.

 

 

 

 

 

 

 

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