Le silence du joker des rois - Texte de Caroline Kasteller
Comme un post-scriptum à cet ouvrage
Lettre ouverte face aux bouches closes
J’ai ouvert mon cœur, je l’ai photographié.
J’ai ouvert mon cœur, sans douleur, je l’ai peint de toutes ses teintes.
Le résultat est une œuvre, incarnée, sanguinolente et brillante. Une histoire de chair, de tissage, de battement de cœur.
Voilà mon œuvre que je livre, à la fois libre et ivre. Je danse de joie.
Elle s’émancipe de moi, me quitte un peu, tel un enfant devenu un être autonome et sur son propre chemin.
Tellement hâte d’entendre le bruit qu’elle fait derrière son passage.
Me voilà Artiste.
Je n’ai plus peur.
Plus peur de mon art. Qu’il éclabousse, qu’il déplaise ou plaise, me voilà Artiste.
Mais voilà qu’on semble lui refuser cette vie.
Mes semblables, peintres, artistes, lecteurs taisent la présence de Nue à même mon cœur. Mais pourquoi ? Pour protéger qui et quoi ?
Quelle violence l’absence de mots.
Quelle violence le déni de mon œuvre.
Quelle angoisse cette absence de sens, encore le chaos qui se glisse.
Me voilà Artiste, et comme tant d’autres déjà me voilà face à l’autre.
Combien ont dû faire avec le désamour, la polémique, la censure, l’incompréhension, l’absence de considération. Mais ils ont dû faire face à quelque chose, certes un quelque chose parfois très douloureux, mais un quelque chose.
Ici mon œuvre est tue. Aucun mot n’est prononcé, aucune preuve de sa vie. Absence de son humanité. Je pense aux hommes qui persécutés, anéantis sont privés de leur reflet, de leur voix, de leur vie. J’ai ce goût d’angoisse et de terreur. Bien entendu il ne s’agit que d’un livre. Aucun danger ne rode, ni même le feu de la censure.
Personne ne m’attaque, rien n’a changé, on me parle et me sourit. Mais mon œuvre est tue.
Heureusement mes proches ont ouvert leurs cœurs à mon cœur. Faut-il être mon ami pour ne pas avoir peur de ma chair ?
Mon livre réveille t-il démons et peurs ? Mais alors dites- le ! Racontez moi, offrez moi vos mots sur mes mots, pour en faire une histoire neuve. Absence de mot, absence de vie, la mort rode peut-être. Comme si nous pouvions agir sur elle et sur la douleur en la déniant. Délusoire mécanisme de croire en notre toute puissance, qui œuvre uniquement pour l’angoisse.
Peut être que moi-même j’ai tu trop d’émotions face à la création de l’autre, peut-être que moi-même j’ai fait œuvre de ce silence qui blesse. Alors je m’engage, solennellement à vous respecter, artistes du passé et d’aujourd’hui, amateur, rêveur, et accompli, enfants et adultes, je veux vous respecter. Je veux respecter votre chemin et dire ce qui m’arrive à moi. Dire avec joie, dire avec vaillance.
Notre silence, je veux en faire une voix vive.
Après l’angoisse du vide, il y a l’immensité du monde et dedans, il y a moi et mes possibles, mes preuves et mes caractères.
Justice, juste-tisse.
Alors ne plus pleurer, ramasser ces perles de larmes pour m’en faire un collier. Car je suis Artiste, et mon œuvre existe.
Âme sensible n’ayez point peur de ma chair, de ma donation. Cela n’est point un sacrifice, ni un supplice.
Je ne suis ni sainte, ni kamikaze. Mais belle et bien incarnée de chair et de sang, d’eau et de matière, de feu et de terre.
Je ne vous laisserai pas en paix si tel est votre choix de taire la vie.
Je ferai appel à mes pouvoirs. Vaillante, respectueuse et en joie.
Caroline KASTELLER
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